Le train-train

S’il part, il se sent mieux. Alors, il prend le RER. Il choisit toujours les étages du bas. Il y est plus en sécurité, ça lui donne l’impression qu’il est sous contrôle.

Il ne sait pas vraiment où aller, mais son train l’emmène vers l’ouest de la banlieue parisienne. Alors qu’il jette ses yeux sur les poteaux électriques du réseau ferroviaire puis sur les affiches publicitaires, il se perd lentement dans ses rêveries.

Il entend soudain un bruit dans la rame. Une voix faible clame : “Jannah, l’enfer, Jannah, l’enfer” à tue-tête en direction des passagers, les deux index pointés vers les sièges, avec un sourire jovial. À mesure que la voix se rapproche, il commence à apercevoir l’origine de celle-ci.

L’homme a les cheveux longs et bouclés, qui flottent à chaque élucubration. Il regarde les passagers dans les yeux, attend une réaction. “Jannah, l’enfer”. Pourquoi le premier mot en arabe, et le second en français ? Pourquoi pas “Paradis, Jahannam” ? Il ne lui pose pas la question.

Le RER, c’est un rendez-vous, on vous invite à y côtoyer des récipients bien souvent lambdas (la catégorie à laquelle appartenait le protagoniste), d’autres tristes et miséreux, et d’autres simplement d’un autre monde.

Il repense alors à cette femme noire qu’il avait croisée il y a quelques semaines, qui appartenait au dernier type de passagers. Elle se lançait d’une trame à l’autre, marchant lentement, chantait « Sur le chemin de l’école, je danse la farandole”, en regardant droit devant elle, fière et demeurée. Les usagers du train-train la connaissaient : “C’est pas la première fois qu’elle nous fait le coup !”.

Sans s’en rendre compte, notre protagoniste est dans la ligne L, il contemple Paris depuis les hauteurs de Saint-Cloud, ça lui change de l’est parisien, où les usines ont laissé place à pléthore de logements sociaux, mal entretenus. En temps normal, il s’en foutrait, mais ça le marque en cet instant, il veut changer d’air.

Il s’apprête à sortir du train, quand il est abordé par un jeune homme : “Bonchour, vous pouvez changer une pièce de 20 centimes ?”. Normalement, celui-ci, il le croise sur le quai du RER E, à Gagny, il l’aurait suivi jusqu’ici ? En tous cas, comme à son habitude, l’homme ne lui laisse pas répondre à la question, et s’en va demander au prochain type : “Bonchour, vous pouvez changer une pièce de 20 centimes ?”.

“Pourquoi certains humains avaient besoin de répéter des rituels comme des disques rayés ?” pensait-il. L’envie de tout contrôler était ancrée en lui, donc malgré tout, il comprenait l’idée, mais pas avec une telle intensité. Ça le faisait chavirer parfois, il se demandait si ça lui arriverait, un jour, de s’enrayer. Il prit le chemin du retour.

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